Les agriculteurs pourraient-ils faire un procès à lEtat ?
Communication agricole le 09/06/2016 à 07:25
Alors quune majorité dagriculteurs déclarent quils seraient prêts à attaquer collectivement lEtat en justice pour les conséquences des retards pris sur le traitement du dossier Pac 2015 et le versement des aides, quen est-il de la possibilité de mener une telle action judiciaire ? Lanalyse de Christophe Charles, avocat au barreau de Versailles.
Dans un récent sondage en ligne, une majorité d’agriculteurs ont déclaré être disposés à initier un recours en responsabilité contre l’État français aux fins d’obtenir une réparation du préjudice économique induit par les retards pris sur le traitement du dossier PAC 2015 et le versement des aides en question.
Pour Christophe Charles, avocat au barreau de Versailles, l’affaire n’est pas si simple. « La mise en cause de la responsabilité de l’État devant le juge administratif est complexe et délicate. En premier lieu, l’action de groupe (class action) n’est reconnue que pour le droit de la consommation, le droit de la concurrence (loi du 17 mars 2014) et le droit de la santé (loi du 26 janvier 2016). Pour agir en justice, les agriculteurs devront initier un recours plein contentieux individuel. Il convient d’être relativement prudent. Le juge administratif est particulièrement retors dans ce domaine animé par la protection des deniers publics. »
« Ce dossier présente une première difficulté majeure. En effet, l’origine première des retards résulte d’un refus d’apurement par la Commission européenne des dépenses agricoles communautaires avancées par l’État français. Pour rappel, suite à des contrôles approfondis effectués sur la période 2008-2012, la Commission européenne et les autres autorités communautaires ont relevé une imprécision notoire du registre parcellaire graphique (RPG) français. A ce titre, une remise à niveau du RPG est intervenue depuis le mois de janvier 2015 impliquant une véritable démarche industrielle de production massive. En effet, ce sont près de 177 personnes du groupe de l’IGN et d’autres sociétés étrangères qui travaillent sur ce chantier. Or, la Commission a fait une compensation immédiate depuis le 27 janvier 2015 sur les dépenses communautaires agricoles. Outre l’amende ramenée à moins d’un milliard trois d’euros, l’État français doit régulariser ce qu’il a trop versé aux agriculteurs pendant la période 2008-2012 et ce sur trois campagnes à savoir 2015, 2016 et 2017. Le décalage va exister en 2016 et en 2017. »
« Dans l’absolu, l’État français a commis deux erreurs qui sont des fautes lourdes. D’abord, certaines DDTM mais pas toutes ont été trop laxistes dans leur interprétation des textes communautaires. Celles-ci ont accordé plus de subventions agricoles que l’UE ne les autorisait réellement. En outre, l’État français n’a pas procédé à l’affinement technologique et à l’actualisation du RPG. »
« Il en résulte que certains agriculteurs des départements les plus laxistes sur l’application des règles communautaires ont reçu de 2008 à 2012 un montant plus élevé de subventions qu’ils n’en avaient le droit réellement. Il en résulte que les difficultés de trésorerie actuelles découlant de la régularisation imposée par la Commission, sont en quelque sorte compensées de fait par l’excédent des subventions que ces producteurs n’auraient jamais dû recevoir. Autrement dit, en considérant la période écoulée depuis 2008, les agriculteurs n’ont pas encore subi de préjudice. Ces derniers auront un préjudice réel lorsque le montant des intérêts financiers qu’ils doivent supporter actuellement sera supérieur au montant des subventions indûment perçues. Pour le moment, il n’y a pas de préjudice déterminable. »
« L’autre difficulté majeure tient au fait que l’interprétation laxiste des textes communautaires n’est pas le fait de toutes les DDTM. Or, il faudrait connaître les départements non laxistes pour ainsi déterminer quels sont les agriculteurs qui pourraient prétendre à demander réparation. Devant une commission du Sénat, les responsables du Ministère de l’Agriculture ont refusé de donner les coordonnées des DDTM laxistes. Il appartient au requérant de démontrer qu’il n’a jamais bénéficié d’un trop-perçu durant la période 2008 à 2012 pour être recevable à initier un recours plein contentieux. »
« Enfin, il faut être « sport ». L’État français s’est refusé de demander aux agriculteurs concernés le remboursement des excédents de subventions indûment perçus pour la période 2008-2012. Dans de telles conditions, il est impossible d’identifier les producteurs qui pourraient demander réparation. Une étude approfondie du dossier conclut à l’échec de tels recours devant le juge administratif. »